Heures de colle [Libre]

[Que tous ceux qui veulent être collés s'incrustent ! (comment ça personne va venir ?) Ou un prof taquin qui s'ennuie ? Fin, peu importe. Trouvez un prétexte =D ]


Samedi matin. Un beau samedi, comme on les aime, ni trop chauds, ni trop froids, avec un bon petit vent qui agite délicatement les cheveux sans pour autant les décoiffer ou vous glacer la peau. Un samedi qu'on passerait bien à flâner dans les parcs publics, lisant un bon livre sur un banc, contemplant de temps à autres l'innocence des enfants qui jouent un peu plus loin, et leurs mères attentionnées qui les surveillent d'un air amusé.

Mais heureusement, Saga n'aimait pas les mioches braillards. Il lisait mieux dans cet amphi sinistre, à la peinture qui s'étiolait au fur et à mesure que le temps passait, et les tables qui s'alignaient, telles des potences en attente d'un condamné à exécuter. Ouais. Saga aimait bien surveiller les lycéens collés la semaine, qui venaient ici le samedi pour effectuer leur peine.

Généralement, on leur avait déjà donné du travail, plus ou moins intellectuel - en tant que professeur, Saga n'aimait pas donner des lignes à copier, trop abrutissant et au final moins productif qu'un bon exercice de trois pages recto-verso sur la saponification ou l'émission d'ondes radio. Quitte à perdre du temps au lycée, autant que ce soit du temps consacré au travail de l'esprit, qui sera ainsi paradoxalement gagné. Et puis, Saga n'était pas complètement inhumain. Il pouvait aider. Si seulement on avait les tripes d'oser lui demander de l'aide...

Le professeur de physique-chimie aux cheveux couleur saphir entra donc dans l'amphithéâtre des colles à huit heures dix, soit vingt minutes avant le commencement de la première heure de colle, et en profita pour s'installer. Il avait toujours sur lui son micro-pc, regorgeant de cours et surtout, d'exercices à donner si jamais quelqu'un finissait les siens trop vite. Et de tous niveaux, aucune excuse. Mais ce que Saga sortit en premier fut le livre qu'il bouquinait actuellement, La Part des Ténèbres, de Stephen King.

Il commença donc à lire, en attendant les élèves collés. Et qu'on ne l'arnaque pas ! Il savait qu'il y en avait. Il en avait même collé lui-même de toute façon... Détendu, assis derrière son bureau, ses cheveux chutant en cascade sur une chemise noire passée au-dessus d'un t-shirt blanc, il se perdit dans les mots de son livre, et ce jusqu'à entendre le bruit caractéristique d'une personne entrant dans la salle.

Le samedi, Sion aimait bien passer son après-midi dans le complexe scolaire. Il avait toujours des petites choses à finir, et même s'il aimait par dessus tout la folle jeunesse qui animait les lieux toute la semaine, il appréciait aussi le calme des week ends, quand il n'y avait que peu de monde. Il abattait un peu de travail, classait un peu de paperasse, et terminait par une petite promenade dans les bâtiments.
Mais ce samedi-là, le vieux proviseur entra dans l'établissement de bonne heure, et il se rendit directement à son bureau. Il s'était réveillé en sursaut après avoir fait un horrible cauchemar, et s'était levé en catastrophe, pressé d'aller faire sa toilette et de s'habiller pour courir à l'école... Il se hâta tant qu'il en renversa la photo de son petit-neveu Mü, immortalisé avec sa toque de pâtissier, dont le cadre trônait sur le buffet du salon. Il en oublia même de servir la coupelle de lait matinale habituelle de son chat tigré Doc Eau, sobriquet né d'une boutade à l'attention d'un vieil ami qui aimait beaucoup les cascades.

Sitôt vêtu, Sion s'était hâté vers le complexe scolaire, les horribles images de son rêve passant et repassant dans sa tête.
Il s'en souvenait parfaitement ! Tout avait commencé paisiblement, Sion se trouvait dans la salle où il donnait les cours d'initiation à l'astronomie, et préparait la prochaine leçon lorsque quelqu'un avait fait irruption. Sion avait bien sur tout de suite reconnu Saga, un ancien brillant élève devenu professeur, et le Saga du rêve avait annoncé qu'il voulait être le nouveau proviseur et qu'il allait se débarasser de lui ! Il avait assommé le vieil homme et s'était rendu dans le bureau de Sion avec l'intention de s'en prendre à Soari !!

Sion s'était réveillé en sursaut à l'instant où Saga allait poignarder Soari avec une pipette. Le coeur battant, il avait regardé autour de lui... Sa chambre. Il avait fait un rêve épouvantable, mais ce n'avait été qu'un rêve... Cependant, le besoin irrépressible de voir si le petit hamster allait bien le saisit à la gorge.

Et voilà pourquoi il marchait à petit pas pressés, traversant les rues et gagnant enfin l'établissement, longeant les couloirs... Et ouvrant enfin la porte du bureau alors que l'horloge sonnait huit heures justes. Son regard se porta immédiatement sur la petite cage qui trônait sur une petite console accolée au bureau... Le hamster, effrayé d'un tel barouf, l'observait, accroché aux barreaux de la cage, bien vivant, sans aucune pipette enfoncée dans le coeur. Sion ressentit un immense soulagement...

"Bonjour, Soari."

Il ouvrit la cage et sa main se faufila à l'intérieur pour se saisir délicatement du vieux hamster, qu'il ramena contre lui avec tendresse. Que d'émotions... Quel affreux rêve. C'était probablement dû à cette récente conversation avec Kanon. Le vieil homme remit Soari dans sa cage, et tourna les yeux vers la petite banette qui comportait une respectable pile de papiers à traiter. Mmmmh... Il commencerait tout à l'heure, car il était parti de chez lui avec précipitation sans rien avaler ; son corps fatigué par l'âge ne lui permettait plus de sauter des repas : il n'avait plus assez de réserves. Un café additionné d'une bonne dose de sucre le soutiendrait parfaitement jusqu'à midi. Alors Sion décida de se rendre au bâtiment du lycée, où on trouvait des distributeurs de boissons.

Il quitta donc le bureau et reprit sa marche, d'un petit pas tranquille, cette fois, appuyé comme à son habitude sur sa canne, son esprit apaisé.
Une fois entré dans le hall du lycée, Sion se dirigea vers le coin des distributeurs... Mais il avisa en chemin une porte ouverte. Allons bon. Qui était tombé du lit si tôt un samedi matin ? Il réorienta sa marche vers la salle, et y entra, s'aperçevant que l'occupant des lieux n'était autre que celui à qui il avait involontairement prêté des tendances hamsterocides.

"Eh bien, eh bien..." lança-t-il en avançant vers un Saga absorbé dans sa lecture. "Bonjour, mon petit Saga. Vous êtes bien matinal."

Eh oui, même s'il s'était de temps en temps posé des questions sur Saga par le passé, Sion ne pouvait nier que ce dernier avait toujours été un élève sérieux et consciencieux. Un peu trop réservé, mais il ne semblait pas en souffrir. Rien détonnant donc à ce qu'il soit devenu un adulte, à fortiori un professeur, bâti sur le même modèle. D'ailleurs, Sion nota intérieurement la légère ironie du sort, qui lui faisait croiser Saga le lendemain de son entrevue avec Kanon, dans la salle précise où ledit Kanon avait passé tant de temps des années et des années en arrière.

"J'espère qu'il y a moins d'élèves retenus que la semaine dernière... Ils sont agités en ce moment. Les vacances qui approchent."

(je suis vraiment désolée, je n'avais pas vu que tu avais répondu il y a... longtemps T__T)


Franchement, Sion avait paniqué au sortir de ce rêve épouvantable, ce qui l'avait amené à courir si tôt un samedi matin dans l'enceinte de l'établissement, mais à présent que le stress était retombé et qu'il s'était assuré que son hamster se portait comme un charme, il avait envie d'en rire, parce que, vraiment, il ne se méfiait absolument pas de Saga. Peut-être devrait-il, qui sait ? Mais en l'occurence, le vieux proviseur était serein. Il était néanmoins fatigué de cette course effrenée, n'ayant plus l'âge à cela, alors il alla s'asseoir sur la chaise la plus proche tout en écoutant la réponse de Saga.

"Je vois, je vois, mais j'espère que vous ne négligez pas votre santé, mon petit Saga. A votre âge, on a besoin de s'aérer l'esprit."

Pour autant qu'il s'en souvenait, le Saga avait de toute façon toujours été un travailleur acharné et peu porté sur la détente en général. Oh bien sûr, il était tout à fait possible que Saga ait été de ceux qui sont des élèves modèles à l'école et des fêtards invétérés dès que les grilles de la sortie étaient franchies, cela il ne pouvait pas le savoir avec certitude, mais il avait bien l'impression que non. Il avait toujours imaginé ce gosse le nez plongé dans ses livres sans s'intéresser à rien d'autres, et il craignait fort que cette impression soit toujours d'actualité à présent que l'étudiant était devenu enseignant. Il n'y avait qu'à voir l'absnce totale d'hésitation à venir surveiller les élèves condamnés à se lever le samedi matin pour venir en colle... Ceux qui étaient plus nombreux que la semaine derniere, aux dires de son interlocuteur, et qui seraient en retard s'ils ne se pointaient pas dans les cinq minutes.

Sion considéra un instant son ancien élève d'un air pensif, puis, lentement, fit entendre sa voix afin de lui répondre.

"Oh... Il y a toujours à faire, ici. J'avais dans l'idée de ne venir que cet après midi, mais j'ai changé mes projets. Je pense que mon vieux chat ne m'en voudra pas."

Il sourit. Il avait évoqué le chat afin de faire comprendre à Saga qu'il n'y aurait bien eu que le vieux greffier qui aurait pu se plaindre de l'absence de Sion, qui d'autre ? Oh, il n'était pas un petit vieux seul au monde, il avait son cher petit-neveu Mü, ainsi que sa précieuse école, mais l'expérience d'une vie entière avait appris au vieil homme que les vieilles gens doivent parfois se faire discret vis à vis de la jeunesse. Mü avait certainement mieux à faire de ses samedis matins que de venir prendre le thé avec son vieil oncle, même s'il avait toujours été gentil et affectueux. Et s'il tenait à faire comprendre cela à Saga, c'était pour le mettre en garde contre une existence exclusivement passée à travailler, même si ce travail était une passion.

Et en parlant d'heures de colle, tiens...
Le vieil homme se leva et passa sa main sur le plat de la table qui flanquait le siège, tout en ajoutant d'un ton détaché.

"J'ai eu le plaisir de croiser Kanon hier soir."

Son regard doux et tranquille se porta sur Saga. Il tenait à savoir si l'évocation de Kanon aurait sur Saga le même effet que l'évocation de Saga sur Kanon.
Sion avait saisi il y a bien longtemps à quel point ces deux là tenaient à prendre des chemins séparés, et il avait passé des années à croire qu'ils étaient aussi différents intérieurement qu'ils étaient ressemblants extérieurement, mais aujourd'hui, il remettait ce point en doute.